Marie-Caroline Husson, Pharmacienne-Praticien hospitalier à l’Etablissement Pharmaceutique des Hôpitaux de Paris (EPHP), AP-HP, est responsable des médicaments orphelins depuis 2010. Mme Husson a aimablement accepté de rédiger un article illustré d'exemples sur l’activité de l’EPHP dans le contexte du deuxième Plan national maladies rares.
Le premier axe du deuxième Plan maladies rares 2011-2014 vise à améliorer la qualité de la prise en charge du malade. Il est notamment précisé : « La prise en charge médicamenteuse sera garantie pour les médicaments orphelins et pour les indications hors AMM, fréquentes dans les maladies rares. »
C’est typiquement dans cet axe que se situe le champ d’activité de l’Etablissement Pharmaceutique de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), également nommé Etablissement Pharmaceutique des Hôpitaux de Paris (EPHP). L’EPHP est l’un des deux pôles de l’Agence Générale des Equipements et Produits de Santé (AGEPS), longtemps dénommée Pharmacie Centrale des Hôpitaux.
Pour répondre à un besoin thérapeutique qui ne peut être comblé par les médicaments de l’industrie pharmaceutique – traitement de certaines maladies rares, ou formes galéniques spécifiquement adaptées au nouveau-né ou à l’enfant et dans certains cas aussi à la personne âgée (dosage unitaire, forme pharmaceutique) – cet Etablissement dispose de la capacité réglementaire (selon la définition du Code de la Santé Publique) pour développer, produire, contrôler et commercialiser ces médicaments qualifiés d’« indispensables ».
Les modèles de développement sont divers et dépendent essentiellement du médicament, de l’indication et de la population de malades. Si le besoin en tel médicament indispensable n’est que de quelques centaines d’unités par an, le statut de préparation hospitalière peut rester adapté pour sa mise à disposition dans de bonnes conditions de sécurité et de qualité. Les préparations hospitalières de l’EPHP ont la particularité d’être fabriquées et contrôlées selon les Bonnes Pratiques de Fabrication de l’industrie, et d’être distribuées dans les hôpitaux et cliniques de la France entière, ce qui représente environ 1000 établissements.
Si l’indication couvre une population plus large, mais encore trop réduite pour intéresser l’industrie pharmaceutique, l’EPHP peut envisager un développement en plusieurs étapes. La première débute par le statut de préparation hospitalière, puis si l’intérêt du médicament se confirme, l’EPHP peut envisager de poursuivre le développement et constitue, seul ou en partenariat, un dossier pour une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Une fois l’AMM obtenue, il peut confier son exploitation à un laboratoire pharmaceutique qui dispose des structures techniques, commerciales et réglementaires adaptées. L’établissement gère actuellement environ soixante-dix préparations hospitalières, une dizaine de spécialités, et quelques matières premières.
Des autorisations de mise sur le marché
Dès son ouverture en 1999, l’EPHP a obtenu une AMM pour le fomépizole, antidote des intoxications aiguës par l’éthylène glycol ou le méthanol (environ 100 cas par an en France) ; ce médicament a obtenu le prix Galien. L’AP-HP est historiquement détentrice de l’AMM française de la méthadone, traitement de substitution de la dépendance aux opiacés. Après la forme sirop, une présentation de méthadone sous forme gélules, plus pratique et avec une formulation innovante (présence d’un agent gélifiant qui rend la dissolution du contenu et de fait son injection IV quasi impossibles), a été mise au point en 2007.
Ensuite, certaines préparations hospitalières spécifiquement pédiatriques ont donné lieu à des demandes d’AMM. Tel est le cas par exemple de la gamme pédiatrique de nutrition parentérale Pediaven® ou des gélules de fer dosées à 0,5 mg pour les nouveau-nés prématurés.
Parmi les pathologies métaboliques héréditaires rares, les déficits de la synthèse d’acides biliaires primaires conduisent à une accumulation de métabolites hautement hépatotoxiques évoluant inéluctablement vers une insuffisance hépatocellulaire majeure imposant une greffe de foie. L’administration d’acide cholique à ces malades permet, par rétrocontrôle, de diminuer voire supprimer la production de ces métabolites anormaux, et d’éviter ainsi ce geste chirurgical particulièrement lourd. Des gélules d’acide cholique ont été distribuées par l’EPHP en tant que préparation hospitalière pendant quelques années ; le statut de médicament orphelin a été obtenu puis transféré à un partenaire industriel qui a poursuivi le développement, la commercialisation et a reçu un avis positif du CHMP pour l’obtention d’une AMM européenne sous le nom d’OrphacoL®.
Un autre type d’exemple est celui de médicaments anciens, abandonnés par l’industrie. La fludrocortisone notamment, médicament ancien mais jamais commercialisé en France, était utilisée sous forme de préparations hospitalières (statut en rendant l’accès contraignant pour les malades ambulatoires) dans le traitement de l’insuffisance corticosurrénalienne ; une AMM a été obtenue en 2007.
Dans les maladies rares, un exemple très récent est celui de la mexilétine, pour laquelle l’AP-HP a obtenu une indication AMM dans le traitement des syndromes myotoniques. Le laboratoire pharmaceutique qui avait commercialisé ce médicament pendant de nombreuses années dans une toute autre indication (en cardiologie comme antiarythmique) en avait arrêté la commercialisation ; pour répondre aux besoins des malades myotoniques, l’AMM a été transférée à l’AP-HP, qui a repris la production et l’exploitation de ce médicament. Un essai clinique va par ailleurs débuter avec ce médicament dans une catégorie particulière de syndromes myotoniques.
Des préparations hospitalières
L’obtention d’une AMM étant un processus long et coûteux, l’EPHP met à disposition des hôpitaux certains médicaments développés spécifiquement pour des maladies rares avec un statut de préparation hospitalière, voire dans de rares cas la matière première pharmaceutique.
Certains médicaments orphelins fabriqués et exploités par l’EPHP depuis de nombreuses années avec le statut de préparation hospitalière semblent particulièrement indispensables. A titre d’exemples, le benzoate de sodium en solution pour perfusion est utilisé dans le traitement des hyperammoniémies, notamment chez les malades atteints de déficit enzymatique du cycle de l’urée, ou encore le collyre de cystéamine dans le traitement des cystinoses oculaires chez les malades traités par Cystagon® oral.
Une solution pour perfusion d’acides aminés ne comportant pas d’acides aminés ramifiés (leucine, isoleucine, valine) a été développée en 2009 pour le traitement des leucinoses décompensées, pouvant dans certains cas remplacer l’épuration exogène par dialyse. Le nombre de malades concernés par ce traitement étant très limité (30 à 50 cas par an), la production de cette solution est réalisée en toute petite série ce qui entraîne un coût élevé mais justifié pour ce médicament indispensable et orphelin.
Quelques matières premières
L’EPHP met aussi à disposition des matières premières, par exemple le D-mannose. L’EPHP en assure le contrôle de qualité et la distribution afin que les pharmacies hospitalières puissent fabriquer des gélules pour les quelques malades atteints d’un déficit en phospho-manno-isomérase (maladie héréditaire du métabolisme très rare).
L’EPHP gère ainsi un catalogue d’environ 80 médicaments, en constante évolution. Cette évolution est étroitement liée à l’objectif de ne conserver que les médicaments et formes galéniques réellement indispensables ; cela dépend notamment de l’offre du marché français et international car avec la procédure d’ATU (autorisation temporaire d’utilisation), il est possible de disposer en France de médicaments dépourvus d’AMM en France mais disponibles sur les marchés européens ou internationaux.
Ce catalogue évolue aussi en fonction des progrès scientifiques, techniques, galéniques, et en fonction de nouvelles maladies émergentes à prendre en charge. De nouveaux médicaments-dosages-formes galéniques peuvent ainsi s’ajouter selon les besoins exprimés par les pharmacies des établissements de soins, par des cliniciens et sociétés savantes, ou par des associations de malades.
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