La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative associant trois types de symptômes : un syndrome choréique, des troubles cognitifs et des troubles psychiatriques. Elle est causée par l’expansion d’un trinucléotide répété sur le gène de la huntingtine. Les consultations spécialisées pour la prise en charge de ces patients particuliers prennent en compte tous les aspects de la maladie : physiques, psychologiques et sociaux.
Anne-Catherine Bachoud-Lévi, neurologue à l’hôpital Henri Mondor (Créteil) témoigne :
"Au cours des deux premières années qui suivent le diagnostic insupportable qu’est celui de la maladie de Huntington, nous tentons de mesurer l’angoisse du patient confronté à son passé – lorsqu’il découvre l’existence d’un secret familial souvent bien gardé – et à son futur. Il faut le remettre dans le fil de sa vie afin qu’il se considère comme "une personne porteuse d'une maladie" et non comme "un malade". Nos patients évoluent tous différemment et nous ne pouvons prédire l’issue pour chacun d’entre eux, même à partir de leurs caractéristiques génétiques. Cette inconnue est une chance, une brèche à partir de laquelle nous pouvons encourager nos patients à construire quelque chose.
Par la suite, nous évaluons précisément les symptômes du malade afin de lui proposer les solutions les plus adaptées. La chorée est traitée par des neuroleptiques, bien que leur efficacité aux différents stades de la maladie soit encore très mal connue. En revanche, il n’existe pas de traitement médicamenteux pour les troubles de l’équilibre. Nous proposons alors des séances de kinésithérapie ou de taï chi chuan, dont les bienfaits sont reconnus par un grand nombre de patients. En ce qui concerne les troubles de l'expression orale, l’orthophonie s’avère plus efficace que les quelques molécules disponibles.
La prise en charge des troubles psychologiques est essentielle : il faut veiller à ce que ces patients souvent violents et déprimés ne se désinsèrent pas de la société, ne s’éloignent pas de leur famille. Avec un bon accompagnement et un traitement symptomatique adapté si nécessaire, ils retrouvent parfois le goût de la vie et recommencent à faire des projets. Nous avons découvert qu’agir sur un seul facteur (état physique, environnement, stress...) améliorait immédiatement la qualité de vie du malade.
Nous intervenons aussi au niveau social afin d’aider les familles. En effet, deux à trois ans avant le début de la dégradation de l’état du malade, il faut déjà penser à faire des demandes auprès des établissements de long séjour afin d'éviter que le patient, dans un moment de débordement de sa prise en charge à domicile, ne se retrouve un soir aux urgences. Nous tentons également d'organiser des hébergements provisoires pour soulager la famille quelques jours ou quelques semaines, mais les établissements d'accueil sont rares et difficiles à trouver. Dans ces situations, l’ambivalence est naturelle de la part des proches : s’ils souhaitent sincèrement rester aux côtés du malade, le quotidien devient parfois insupportable.
Toutes ces initiatives prises afin de soulager ces patients atteints d’une maladie incurable ont des effets bénéfiques, démontrés par des évaluations menées à partir d’échelles validées. Et ils peuvent être durables, à condition que la maladie soit prise en charge à un stade précoce."
Si la maladie de Huntington est aujourd’hui incurable, la recherche avance. Les meilleurs résultats aujourd’hui observés n’ont certes pas un effet curatif, mais permettent de retarder la dégradation physique, intellectuelle, et psychique. Il existe en France et dans les pays francophones un réseau bien établi : le Réseau Huntington de Langue Française qui regroupe 16 équipes de cliniciens et 8 équipes de chercheurs, et dont l’objectif est de favoriser la réalisation d’études cliniques, thérapeutiques, épidémiologiques et génétiques. Une des stratégies thérapeutiques prometteuse dans la maladie de Huntington repose sur une thérapie cellulaire substitutive visant au remplacement fonctionnel et anatomique des neurones perdus. Plus concrètement, un des essais en cours dans le cadre du réseau francophone est basé sur la greffe intracérébrale de neurones fœtaux. Il s’agit d’un essai clinique de phase II courant sur 8 ans (2001-2008), promu par la DRC (AP-HP) et mené sur 60 patients en France et en Belgique. A ce jour, 54 patients sont déjà inclus. Après un suivi régulier de 12 mois, le patients sont randomisés pour recevoir une greffe aux 12ème et 13ème mois ou aux 33ème et 34ème mois. Actuellement, 20 sujets ont été randomisés pour recevoir des greffes précocément et 19 tardivement. 24 ont été greffés. Tous sont évalués en post-greffe pendant 40 mois dans le groupe greffe précoce et 20 mois dans le groupe greffe tardive. Leurs performances sont comparées aux 12ème, 32ème et 52ème mois. Le double aveugle étant difficilement envisageable dans ce type d’étude, c’est plutôt une cotation à l’aveugle qui est réalisée : les patients sont filmés à intervalles réguliers, et les données sont ensuite envoyées et analysées aux Etats-Unis. L'efficacité à long terme est en cours d'évaluation sur les patients d'une première étude pilote.
Il existe donc un certain nombre de perspectives thérapeutiques pour retarder l’évolution de la maladie de Huntington. Mais un problème se pose pour les "futurs malades", ceux qui ont obtenu un résultats positif suite à un test pré-symptomatique alors qu’ils ne développent pas encore de symptômes. Un autre projet de recherche en cours, intitulé "biomarqueurs prédictifs de la maladie de Huntington" financé par le GIS-Institut des Maladies Rares, est destiné à déterminer des marqueurs de la maladie à son stade asymptomatique afin de préparer de futurs essais thérapeutiques.
"La recherche clinique française avance mais elle est précaire, car financée sur appel d’offres. Pourtant, c’est elle qui nous permet de tenir, d’imaginer qu’un jour on aura quelque chose à proposer à nos patients. Le manque de personnel a également un impact négatif sur la prise en charge des malades. Le délai moyen pour une première consultation Huntington à Henri Mondor est de neuf mois, ce qui tout à fait anormal. Heureusement, la création récente de centres experts dans le cadre du plan maladies rares nous permet d’envisager un futur plus serein, de pérenniser notre action sur au moins cinq ans. Mais nous avons surtout besoin de postes durables autant en recherche qu’en clinique. Avec seulement des vacataires, il est impossible de progresser, en particulier sur des études cliniques qui s'étendent sur plusieurs années."
Propos recueillis à l'occasion d'une conférence organisée par l'association X-Santé ; 21 avril 2005